Chapitre Premier - Au commencement était la fin

Une plume tomba sur le champ de bataille, seule témoin, en dehors des décideurs et des généraux de l’immense bataille qui faisait rage quelques secondes auparavant. Le champ de bataille était maintenant silencieux et le crépuscule tombait sur la plaine engoncée dans les montagnes de Terre Acnor. L’homme tomba à genoux, ruisselant de sueur et nu, ses ailes se désagrégeant dans son dos. Les plumes se détachaient peu à peu du cartilage frèle qui tombait de la peau en train de se nécroser.

Les larmes coulaient le long de ses joues, s’ajoutant à son visage marqué par le sel tandis que ses cheveux viraient au blanc ivoire. Il avait du prendre une décision, une décision qui avait coûté la vie à des milliers d’hommes et de femmes se battant pour leurs bannerets. Un sort millénaire, oublié, surpuissant les avait balayé dans une onde de choc, les envoyant pour l’éternité dans une dimension inconnue, mettant ainsi fin aux guerres qui ravageaient les pays depuis des siècles.

Il se sentait sale, maculé du sang désormais indélébile sur ses mains, et écrasé par le poids des responsabilités.

* La mort de milliers, et me voilà responsable de la vie de millions. Par le meurtre, je mets le doigt dans un engrenage infernal. *

Il se releva avec peine et lenteur, craignant que sa faiblesse ne provoque une oportunité de le tuer chez ses futurs opposants, mais ces derniers étaient bien trop incrédules pour bouger le petit doigt. Ils venaient de perdre d’un coup toute leur puissance de frappe, et ce face à un seul homme apparut de nulle part pour oblitérer leurs hommes – leurs amis. Comment auraient-ils pu réagir d’une quelconque manière. Les plus rapides d’entre eux commençaient à sentir la haine et la crainte envers cette homme monter en eux comme une rage sourde qui les laissait incapables de réagir.

L’homme se redressa de toute sa prestance et tout le monde apperçut son apparence. Grand et musclé, il avait tout du parfait guerrier. Chaque muscle tracé impeccablement relevait d’une discipline de fer qu’il sétait imposé depuis des années, tandis que ses yeux, devenus blancs comme ses yeux étaient baignés de chaudes larmes de regrets. Reprenant son souffle, il s’adressa à tous d’une voix forte :

« Amis. Ennemis. C’est à vous maintenant qu’il revient le droit de me juger. Vous ne me connaissez pas, mais je suis maintenant votre nouveau seigneur. Aucune puissance ne peut s’opposer à moi. Haissez-moi, chérissez-moi, vos guerres sont finies et je n’ai cure de la manière dont vous allez me percevoir. J’attendrais le chef de chaque pays, accompagné de son général à Chroma dans quinze jours, lorsque le soleil sera au plus haut. Ceux qui viennent feront partie de la vie que je vous offre. Ceux qui me refusent leur présence seront décimés avec leur famille et leurs amis, ainsi que la famille et les amis de leurs amis. Je n’hésiterais pas. La paix a un prix qui se paye en sang, et si vous estimez que celui que je viens de verser n’est pas suffisant, je me chargerais d’alourdir le tribut. »

Signant ces mots par une invocation de portail, l’homme disparut aux yeux des quatre nations qui s’affrontaient quelques minutes auparavant pour reparaître à des centaines de kilomètres de là, au fond d’une grotte où un feu était allumé. Tombant à genoux, une femme se jeta sur lui pour l’enlacer en lui passant une lourde couverture, les yeux rougis par des heures de pleurs. Sa présence le réchauffa et il laissa parler son chagrin, pleurant des jours durant les morts.
Ainsi, le Haut Seigneur était né dans le sang des guerriers.